Spinosauridae
  Les Spinosaurus chimériques de Drouot
 


Ce dossier porte sur les crânes et squelettes composites de Spinosaurus vendus aux enchères dans le célèbre Hôtel Drouot à Paris. Il résulte de deux choses, la première étant l'acquisition de photos en haute résolution du crâne chimérique de Spinosaurus qui fut vendu en juillet 2005 et dont le Musée National d'Histoire Naturelle (MNHN) de Paris a voulu se procurer avant de se raviser au dernier moment (voir plus bas), la seconde étant la future vente d'un squelette de Spinosaurus (composite) entier qui aura lieu le premier décembre de cette année 2009 et provenant des collections d'Eldonia (François Escuillé).
Comme spécifié dans le titre du dossier, les crânes et le squelette de Spinosaurus sont bien chimériques, il ne s'agit en aucun cas d'un seul et même spécimen de Spinosaurus mais bien d'un assemblage d'ossements provenant de plusieurs individus. Les os manquants, qui couvrent environ 50 % des montages, sont ainsi des moulages intégrés avec des os originaux.
Remarque : Ce dossier n'a absolument pas pour but de promouvoir la vente aux enchères de fossiles de dinosaures qui sont, c'est ici le cas, digne d'un grand intérêt scientifique. Bien au contraire, il présente une réalité que le paléontologue (que je suis moi-même) déplore tant le commerce de fossiles de ce genre met un frein au travail du scientifique et le prive d'un grand nombre d'informations capitales sur l'anatomie, la biologie et la taphonomie des dinosaures. Je donne ici sur un forum de dinosaures (http://dinonews.net/forum/tuyaux.php?msg=141573&return=1#top) une version plus détaillée de mon opinion personnelle sur la vente de fossiles. Bien que les fossiles peuvent être vendus à des musées ou à d'autres institutions scientifiques, la grande majorité d'entre eux d'un prix très élevé sont acquis par des collectionneurs fortunés qui ne se soucient absolument pas de la valeur scientifique de tels objets soi-disant de collection. De plus, aucun musée ne se procurera un spécimen composite puisqu'il a perdu beaucoup de sa valeur scientifique. En effet, des ossements originaux provenant de plusieurs spécimens n'ont plus beaucoup de valeur lorsqu'ils sont associés à des moulages puisqu'ils devient impossible de les examiner en détail et sous toutes les coutures.

I. Crâne de Spinosaurus vendu aux enchères en juillet 2005 :

A. Fiche descriptive de l'Hôtel de vente Drouot :
- Crâne de Spinosaurus.
- Age : Crétacé supérieur (environ 100 millions d'années).
- Longueur : 105 cm.
- Description faite dans le catalogue de Drouot : Ce crâne de Spinosaurus était préempté à 81 000 euros par le Muséum d'histoire naturelle. Ce prix constitue un record en France pour la paléontologie. Ce spécimen permet en réalité, en raison de certains éléments comme la présence d'une crête, de réviser une partie des connaissances sur la famille des spinosauridés. Il provient de l'ancienne collection d'un géologue, établi en Afrique du Nord au milieu du XXe siècle. L'aire de répartition de ce charmant dinosaure s'étendait de l'Égypte au Maroc, régions alors recouvertes d'une luxuriante végétation tropicale. Comme en atteste sa dentition de structure croco-dilienne, il était carnivore et piscivore. L'animal a été pour la première fois décrit en 1915 par le paléontologue allemand E. Stomer. Sa taille était impressionnante, entre 12 et 17 mètres de long pour 4 mètre de haut, son poids allant de 4 à 6 tonnes. La colonne vertébrale du Spinosaurus était hérissée d'épines de 2 mètres de haut, qui, recouvertes de peau, devaient former une véritable voilure. Avec ses mensurations, le Spinosaurus était le plus long des théropodes, sous-ordre qui comprend tous les dinosaures carnivores, y compris le redoutable tyrannosaure.

B. Photographies :





 











C. Illustration de la position des os originaux :

D. Polémique :

Voici un extrait d'un article paru dans le Nouvel Explorateur du 12 avril 2007 et relatant des déconvenues qui ont eu lieu lors de la vente de ce crâne :
"(...) même si science et business font souvent bon ménage outre-Atlantique, le fait est que les critiques des chercheurs français ne sont pas purement idéologiques. Pour tout dire, les scientifiques du Muséum national d'Histoire naturelle ont quelques raisons de se monter circonspects vis-à-vis de la vente de Christie's. Le Muséum a en effet connu une déconvenue lors d'une vente similaire qui a eu lieu en juillet 2005 à l'Hôtel Drouot, pour le compte de l'étude de Me Marc-Arthur Kohn. L'expert était Eric Mickeler, qui n'avait pas encore proposé ses services à Christie's. L'objet du litige ? Un crâne de Spinosaurus - espèce de dinosaure - venu du Maroc, qui a atteint le prix de 81 000 euros (sans les frais). Au terme des enchères, le Muséum, intéressé par le spécimen, a exercé le droit de préemption dont disposent les organismes d'Etat. Dans un tel cas, l'organisme qui préempte bénéficie d'un délai de deux semaines pour confirmer son achat, au terme duquel il se porte acquéreur pour le montant des enchères.
Le hic, c'est qu'après avoir examiné le crâne de spinosaure de plus près le Muséum s'est ravisé. «La pièce était très belle sur le catalogue, mais on n'avait pas de garantie que tous les éléments proviennent du même individu», résume Christian de Muizon. Les responsables du Muséum ont aussi été informés que leurs collègues du British Museum s'étaient vu proposer ce spécimen et l'avaient refusé. Selon les informations que nous avons recueillies auprès de plusieurs sources professionnelles concordantes, ce Spinosaurus appartenait à un collectionneur français qui l'avait confié pour restauration à une société italienne de Trieste, Stoneage, dirigée par un certain Flavio Bacchia. Les Italiens ont remonté le crâne de manière esthétiquement réussie, mais scientifiquement peu rigoureuse. En clair, d'après une de nos sources, c'est un «animal composite», une chimère faite de restes de plusieurs fossiles. Bien sûr, ces informations ne figuraient pas dans le catalogue de la vente. Lorsque le Muséum s'est rendu compte de sa bévue, il a décidé de renoncer à son achat, estimant être dans son bon droit. Ce que conteste formellement Me Kohn : «Nous avons reçu une première lettre recommandée confirmant l'achat, puis une seconde l'infirmant; c'est une de trop! Aussi avons-nous engagé une procédure administrative contre le Muséum. Elle est en cours.»


II. Squelette de Spinosaurus à vendre aux enchères en décembre 2009 :

A. Fiche descriptive de l'Hôtel de vente Drouot :
- Squelette de Spinosaurus (original à 50% environ, mais obtenu avec les ossements d’individus différents)
- Localité : Maroc
- Age : Albien-Cénomanien (entre 112-93 Ma ; fin du Crétacé inférieur début du Crétacé supérieur).
- Longueur : 8 m environ
- Description faite dans le catalogue de l'exposition : Les premiers restes de Spinosaurus ont été décrits par le scientifique allemand Ernst Stromer, en 1915, à partir du matériel trouvé en Egypte. Le savant remarqua, comme caractéristique typique de l’animal, que les apophyses dorsales des vertèbres du corps (les processus de la partie supérieure du corps vertébral) étaient très allongées. Il le nomma alors Spinosaurus (qui signifie « lézard à épines ») aegyptiacus (égyptien, car ses fossiles ont été trouvé dans la formation de Baharije, en Egypte). Les restes furent entreposés au musée de Munich. Pendant la deuxième guerre mondiale, en 1944, la ville fut bombardée et les fossiles perdus. Les premières reconstitutions de cet animal le figurent comme un carnosaure à l’allure de T. rex, mais avec une voile sur le dos (voir par exemple, l’illustration du squelette de l’animal tirée de Lapparent & Lavocat, 1955). Toutefois, à partir des années ‘80-‘90, l’ichnographie du Spinosaurus commença à changer. Les scientifiques, grâce aussi à des nouvelles trouvailles des restes de ce dinosaure, commencent à remarquer ses similitudes avec le genre Baryonyx, connu dans le Barrémien (entre 130 et 125 Ma ; Crétacé inférieur) de l’Angleterre. Aujourd’hui, le genre Spinosaurus comprend deux espèces : S. aegyptiacus et S. maroccanus, décrit par D. Russel en 1996 (bien que quelques chercheurs considèrent les deux formes synonymes). Ce genre a été aussi utilisé pour établir la famille des Spinosauridae, qui comprend aussi Baryonyx walkeri, connu au Barrémien, en Angleterre, Espagne et Portugal, Suchomimus tenerensis, de l’Aptien-Albien (entre 125-100 Ma), de Ténéré, Niger (considéré par certains appartenant au genre Baryonyx), et Irritator challengeri, dont les restes, datant de 110 Ma environ, ont été exhumés au Brésil. Mis à part Baryonyx, les autres taxons sont connus par des données plus incomplètes que ceux de Spinosaurus.
Concernant le spécimen mis en vente, il faut considérer qu’il est constitué par environ 50% de fossiles originaux. Les parties originelles, toutefois, ont été assemblées à partir des restes osseux et des fragments recueillis sur plusieurs localités de la région de Kem-Kem, au Maroc, sur une période d’environ 25 ans. Néanmoins, bien que vraisemblablement appartenant à des individus différents, les vestiges sont tous homogène en ce qui concerne les dimensions, c’est-à-dire, ils ont appartenu à des animaux de taille comparable. Ils se prêtent donc au montage d’un spécimen composite. A ce propos, il est bon souligner le contenu de deux documents, écrits en italien : le premier est une attestation de la Société Zoic srl, basée à Trieste (Italie), pour la location du spécimen à la Nikkei inc. de Tokyo, en vue d’une exposition. Ce papier déclare que le spécimen est un composite avec environ 50% de restes originaux. Cependant, les parties originelles, le fruit d’un ramassage qui a duré 25 années environ, sont arrivées auprès de leur laboratoire en état fragmentaire. Là, un scientifique du Museo Civico di Storia Naturale di Milano (Muséum Civic d’Histoire Naturelle de Milan) a examiné tous les ossements pour reconnaître ceux qui présentaient un intérêt scientifique potentiel des ceux qui pouvaient être utilisés pour le montage d’un spécimen. Le spécimen a donc été constitué à partir de restes fragmentaires. Les méthodes de réalisation et de restauration, vu la finalité d’exposition à laquelle il a été destiné à l’origine, ont pu cacher des parties originelles pour rendre homogène l’ensemble (pour différencier les parties vrais de celles reconstituées, se référer au schéma ci-joint). Le deuxième document en italien est la déclaration du Dr Cristiano Dal Sasso, spécialiste de dinosaures de Milan, qui a contrôlé l’ensemble des restes. Le scientifique déclare avoir séparé une vingtaine de fossiles, vu leur intérêt scientifique potentiel, du reste. Il affirme aussi que les restes, bien que provenant de plusieurs localités, sont tous homogènes du point de vue dimensionnel et compatibles avec le genre Spinosaurus. Cependant, ils ne revêtent guère d’intérêt scientifique. Concernant le genre Spinosaurus en général, il est censé inclure des individus gigantesques, parmi les plus grands dinosaures carnivores. D’après Dal Sasso et al. (2005), certains restes marocains sont attribuables à un individu pouvant atteindre entre 16 et 18 mètres de longueur, pour un poids de compris entre 7 et 9 tonnes. Les caractéristiques les plus remarquables de cet animal étaient le museau allongé, comme celui d’un crocodile, les membres antérieurs plus courts des postérieurs et la probable présence d’une voile dorsale soutenue par les apophyses dorsales des vertèbres thoraciques. Certain auteurs pensent que cette dernière devait servir faciliter les échanges thermiques entre l’animal et son environnement. Par exemple, en s’exposant au soleil, le Spinosaurus pouvait absorber plus de chaleur que les autres dinosaures et donc se réchauffer plus vite qu’eux. Une autre hypothèse est celle était brillement colorée de manière à servir pour les parades nuptiales des mâles. Malheureusement, encore aucune couleur de dinosaure ne s’est fossilisée ! Enfin, elle aurait pu avoir aussi avoir un rôle social, pour l’intimidation des rivaux, ou interspécifique, pour effrayer les ennemis potentiels. Laquelle parmi les trois hypothèses est la bonne ? Peut-être aussi toutes les trois, peut-être aucune. Seules les recherches futures permettront de résoudre la question. Toutefois, le Spinosaurus n’est pas le seul dinosaure de la région à avoir développé une voile dorsale. Ouranosaurus nigerensis, un autre dinosaure dont les restes ont été exhumé en Afrique du Nord, en plein Sahara, avait des vertèbres similaires, qui font penser à la possession d’une voile dorsale. Les dents acérées du Spinosaurus prouvent bien qu’il était un carnivore, sans nous renseigner, cependant, sur ses proies favorites. La forme du museau et celle des dents (qui rappellent celles d’un crocodile, notamment la première) font penser qu’il devait consommer des poissons. En effet, quelques restes digérés de ces vertébrés ont été trouvé associés avec les premiers fossiles de Spinosaure trouvés. Toutefois, un animal aussi imposant ne devait pas seulement se contenter de poissons. Probablement, comme certains crocodiles actuels, il se nourrissait aussi de proies beaucoup plus consistantes, tels les dinosaures (notamment les individus juvéniles ou les espèces plus petites) ou les autres vertébrés. Bien que les restes du Spinosaurus aient été trouvés en plein Sahara, au milieu du Crétacé, il faut souligner que cette région était bien différente de l’actuelle. Elle était verdoyante, riche en cours d’eau et en végétation. Elle sustentait une faune diversifiée de vertébrés, dont les poissons, bien sûr, mais aussi les animaux terrestres. La plupart de ces organismes pouvait, à un certain moment de leur vie, faire partie intégrante du menu du Spinosaurus. Andréa M.F. Valli, Docteur en paléontologie
- Bibliographie citée :
Dal Sasso C., Maganuco S., Buffetaut E. & Mendez, M.A. (2005). Isolated dinosaurus bones from the Middle Cretaceous of teh Tafilar, Morocco. Journal of Vertebrate Paleontology, 25 (4) : 888-896 p.
Lapparent A.F.de & Lavocat R. (1955). Dinosauriens. In Piveteau J. (sous la direction de), Traité de paléontologie, Paris, Masson et Cie : 785-962 pp.
Russel D. (1996). Isolated dinosaurus bones from the Middle Cretaceous of teh Tafilar, Morocco. Bulletin du Muséum National d’Histoire Naturelle, Paris, série 4 (18), Section C, n 2-3 : 3402-3409 p.
Stromer E. (1915). Ergebnisse der Forschungsreisen Prof. E. Stromers in den Wüsten Ägyptens. II. Wirbeltierreste der Baharîje-Stufe (unterstes Cenoman). III. Das Original des Theropoden Spinosaurus aegyptiacus n. g. n. sp. Abhandlungen der Bayerischen Akademie der Wissenschaften, 18 (3) : 1-32 p.
- Expositions : Le Spinosaurus a été exposé à la Nikkei Inc. de Tokyo, de juillet à septembre 2009.


B. Photographies :











 
C. Illustration de la position des os originaux :


D. Vidéo :

D. Nouvelles de la vente :
Le squelette composite de Spinosaurus n'a pas encore trouvé acquéreur. C'est ce qu'annonce un article du Parisien daté du 2 décembre 2009 :
"Un squelette de spinosaurus, dinosaure au museau de crocodile géant, et un mammouth laineux, qui figuraient parmi les principaux objets mis aux enchères mardi soir à la salle Drouot-Montaigne à Paris, n'ont pas trouvé preneur, ont expliqué les organisateurs.
"Les grosses pièces ne se sont pas vendues", a déclaré à l'AFP le commissaire-priseur Bertrand Cornette de Saint Cyr, estimant que l'assistance était surtout composée de "petits collectionneurs".
C'est "la première fois" que la maison Millon de Cornette de Saint Cyr organise "ce type de vente à défricher avec passion", a-t-il ajouté, espérant que la vente "marchera mieux, avec l'espace" mercredi soir.
Des combinaisons spatiales, des "unes" de journaux marquant des étapes clés de la conquête spatiale, une "couche spatiale" et d'autres accessoires seront alors proposés à la vente.
Mardi soir, une météorite sidérite de 130 kg, découverte pour la première fois en 1576, a été adjugée à 25.000 euros (sans les frais) et l'enchère a atteint 20.000 euros (hors frais) pour un oeuf (de 31,5 cm de hauteur) provenant d'un Aepyornis maximus, ou oiseau-éléphant.
Mais le squelette de spinosaurus (lézard à épines) mis à prix à partir de 250.000 euros ne s'est pas vendu, tout comme le squelette de mammouth laineux, complet à 90%, qui avait été estimé entre 100.000 et 120.000 euros.
Des musées français et étrangers auraient toutefois manifesté leur intérêt pour le spinosaurus qui peut encore trouver acquéreur dans les trente jours suivant la mise aux enchères, a indiqué Olivier de Lapeyrière du Cabinet Court'Art.
Le catalogue pour les ventes de mardi et mercredi comptait 450 objets au total, dont près de 50 météorites qui se sont formées en même temps que le système solaire il y a 4,5 milliards d'années.
Après météorites, minéraux et paléontologie mardi, la vente sera consacrée mercredi à l'entomologie, aux curiosités de la mer, aux animaux (tigre naturalisé...) et à la conquête de l'espace." AFP.



 
 
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