Spinosauridae
  Paléogéographie des Spinosauridae
 



Introduction
Afin de visualiser les étages du Jurassique et du Crétacé avec facilité, voici un tableau stratigraphique de ces périodes du Mésozoïque. Les âges, dans la colonne du même nom, sont ceux du début de chaque étage et sont donnés en million d'années (Ma). La colonne la plus à droite donne l'incertitude de ces âges, elle est liée aux erreurs relatives à la datation. Les âges et incertitudes sont celles de l'International stratigraphic chart 2008 de l'International Commission on Stratigraphy (http://www.stratigraphy.org/upload/ISChart2008.pdf).


 
Pour avoir une meilleure idée de la répartition paléogéographique des Spinosauridae durant le Mésozoïque, cliquez sur l'image ci-dessous.

© Christophe Hendrickx.

I. Jurassique supérieur
La plus ancienne évidence possible de spinosauridés dans le monde sont des dents provenant du célèbre site fossilifère du Tendaguru au sud-est de la Tanzanie (Buffetaut, 2008). Les strates du Tendaguru sont datées du Kimméridgien-Tithonien (Mateus, 2006) si bien que les Spinosauridae sont déjà présents au Jurassique supérieur en Afrique. Il est très possible que les Spinosauridae aient eu une origine Gondwanienne, cependant il faut encore attendre la découverte de nouveaux restes de spinosauridés dans des strates du Jurassique pour étayer cette hypothèse. L'on peut tout de même faire remarquer que deux sites fossilifères eurasiens contemporains, la Formation Morrison (Amérique du Nord) et les Formations Lourinhã et Alcobaça (Portugal), qui sont similaires d'un poirnt de vue paléoenvironnemental (Mateus, 2006), ne semblent pas avoir fourni de restes de Spinosauridae.

Site du Tendaguru en Tanzanie (Mateus, 2006).

II. Crétacé inférieur
La forme encore énigmatique Siamosaurus suteethorni découverte en Thaïlande est connue dans la formation de Sao Khua datée probablement de l’Hautérivien ou du Barrémien (Buffetaut et Ouaja, 2002) et la formation de Khok Kruat de l’Aptien (Milner et al., 2007).


Site de Phu Wiang au Nord-est de la Thaïlande.

Buffetaut et al. (2008) ont redécrit des dents initialement rapprochées au pliosaure Sinopliosaurus fusuiensis provenant du Crétacé inférieur du sud de la Chine. Ces auteurs identifient ces dents comme étant celles d'un Spinosauridae proche de Siamosaurus suteethorni. La position stratigraphique de ce nouveau spinosauridé est assez vague. Basé sur une corrélation entre les faunes chinoises et celles des Formations de Sao Khua et Khok Kruat de Thaïlande, il pourrait être daté soient aux étages Hautérivien-Barrémien, soit à l'étage Aptien.


Région autonome de Guangxi Zhuang en Chine.

a) Hautérivien
Les premiers spinosauridés de la période Crétacé ne sont connus qu'à partir de l'Hautérivien où des dents attribuées au genre Baryonyx ont été découvertes dans les couches d’Ashdown Sand dans le Sussex en Angleterre (Charig et Milner, 1997) et aux Baryonychinae provenant de la Province de Burgos (Torcida Fernãndez et al., 1997) et de La Cantalera (Ruiz-Omeñaca et al., 2005)  en Espagne.


Sussex occidental, Angleterre, Royaume-Unis.
 

Site de Burgos en Espagne (Torcida Fernãndez et al., 1997).

Site de La Cantalera en Espagne (Ruiz-Omeñaca et al., 2005).

b) Barrémien
Les Baryonychinae du Barrémien sont représentés par le genre Baryonyx présent dans aussi bien en Angleterre (Charig et Milner, 1986, 1990, 1997 ; Naish et al., 2001) que dans la péninsule ibérique (Vierra et Torres, 1995 ; Torcida Fernãndez et al., 1997). Un grand nombre de dents provenant d'Espagne ont été raportées aux Baryonychinae (Vierra et Torres, 1995 ; Ruiz-Omeñaca et al., 1998 ; Torcida Fernãndez et al., 2003) et deux fragments de mâchoire venant de la localité de Boca do Chapim situé au sud de Lisbonne (Portugal) et originellement référés au crocodilien Suchosaurus girardi par Sauvage (1897-1898) furent redécrits et réattribués au genre Baryonyx par Buffetaut (2007). Cependant, Sanchez-Hernãndez et al., (2007) décrivent également des dents de Spinosaurinae découvertes dans la Formation de Camarillas datée du Barrémien inférieur ce qui en fait la plus ancienne évidence de Spinosaurinae dans le monde.


Site de Baryonyx walkeri près d'Ockley dans le Surrey en Angleterre.
 

Site de Teruel en Espagne.

c) Aptien
Deux Baryonychinae, Cristatusaurus lapparenti et Suchomimus tenerensis, rapprochés au genre Baryonyx par certains auteurs (Sues et al., 2002, Milner, 2003, Huut & Newbery, 2004), sont connus dans la Formation d’Elrhaz du désert du Ténéré (site de Gadoufaoua) au Niger (Taquet, 1984 ; Taquet et Russell, 1998 ; Sereno et al., 1998) qui est datée par ces auteurs à l’Aptien bien que Ouaja et Buffetaut (2002) estiment cette datation incorrecte. Plus récemment, Sereno et Brusatte (2008) ont attribué cette formation à l'Aptien-Albien. Il s'agit là des plus récents  baryonychinés découverts à ce jour dans le monde.
 

Site de Gadoufaoua dans le désert du Ténéré au Niger (Sereno et al., 1998)

En Europe, plusieurs dents isolées provenant de l'Aptien d’Espagne ont été rapprochées à des Spinosauridae. Torcida Fernãndez et al. (1997) rapportent la présence de dents de Baryonychinae dans le Barrémien supérieur - Aptien de la Province de Burgos tandis que
Canudo et al. (2004, 2008) décrivent des dents de Spinosauridae découvertes dans l'Aptien inférieur de la Formation Arcillas de Morella située dans la Province de Castellón.

Site de Morella en Espagne Canudo et al. (2008).

c) Albien
Les Spinosaurinae sont présent en Afrique dès l’Albien avec la présence du genre Spinosaurus  en Tunisie (Bouaziz et al. 1988 cf. aegyptiacus) et en Algérie (Djoua : Stromer, 1915 ; Gara Samani : Taquet et Russell, 1998, cf. marrocanus).


Site de Jebel Miteur près de Tataouine dans le Sud-est de Tunisie
(Bouaziz et al. 1988)


Les Spinosaurinae les mieux connus d’Amérique du Sud (Irritator challengeri et Angaturama limai) ont été découverts au Brésil dans la formation de Santana (
Kellner et Campos, 1996 ; Martill et al., 1996 ; Sues et al. 2002 ; Machado & Kellner, 2008) qui reste imprécisement datée à l’Albien ou au Cénomanien (Martill, 2007) bien que certaines publications lui donne uniquement un âge possible Albien (Salgado et al., 2009).



Bassin d'Araripe où se trouve la Formation de Santana à l'est du Brésil
(Martill et al., 1996).


III. Crétacé supérieur
a) Cénomanien
L’espèce Spinosaurus aegyptiacus a également été trouvée dans le Cénomanien inférieur d'Afrique du Nord dans l'oasis de Baharija en Egypte (Stromer, 1915, 1936) ainsi que dans les grès rouges des Kem Kem situés sur la frontière séparant le Maroc de l'Algérie (Buffetaut, 1989a, 1989b ; Russell, 1996 ; Dal Sasso et al., 2005).
 

Oasis de Baharija dans le Nord-est de l'Egypte (Smith et al. 2006).
 

Région des Kem Kem dans le Sud-est du Maroc (Sereno et al., 1996).
 
Des dents rapportées à des Spinosaurinae ont aussi été découvertes en Amérique du Sud dans un gisement situé sur la petite île de Cajual au large des côtes brésiliennes et daté du Cénomanien  inférieur (Medeiros, 2006).
 

Ile de Cajual (Brésil).

b) Turonien

Tout récemment, Salgado et al. (2009) attribuent une dent provenant du site d'El Anfiteatro situé en Patagonie (Argentine) à un Spinosauridae. Cette dent fut découverte dans la
Formation Cerro Lissandro daté du Turonien inférieur. Néanmoins, la forme de la dent, son aspect général et sa situation géographique et stratigraphique me laissent extrêmement perplexes quant à son identification et je ne suis absolument pas certain qu'il s'agisse bien là d'une dent de Spinosauridae.


Site d'El Anfiteatro en Patagonie. La Formation Cerro Lissandro est achurée diagonalement.

Weishampel et al. (2004) mentionnent dans le chapitre sur la distribution des dinosaures (dans le livre The Dinosauria 2nd edition, p. 605) la présence de restes fragmentaires de l'espèce Spinosaurus sp. dans le Turonien-Santonien du Kenya (Turkana Grits). Je ne connais pas l'article qui traite de cette découverte mais si cette information doit s'avérer exacte, il s'agit là du représentant le plus récent de la lignée des Spinosauridae ce dont, une fois encore, je doute beaucoup.

Site des Turkana Grits à l'Ouest du lac Turkana et au Nord-ouest du Kenya.

IV. Premières théories sur l'évolution paléogéographique des Spinosauridae
D’après Buffetaut et Ouaja (2002), la présence en Afrique des Baryonychinae durant l’étage supposé Aptien et celles des Spinosaurinae pendant l’Albien et le Cénomanien laisse penser que les Baryonychinae ont été remplacés par les Spinosaurinae durant ou non loin de la limite Albien – Aptien. Taquet (1976) fait remarquer que la faune de l’Albien (et du Cénomanien) du Nord de l’Afrique et celle du Niger, plus âgée, diffèrent. Il note que « le théropode Carcharodontosaurus et le poissons Onchopristis numidus semblent être absent avant l’Albien. » Les découvertes de Carcharodontosaurus à l’Aptien en Tunisie démontrent cependant que ce théropode est présent en Afrique avant l’Albien (Benton et al., 2004). Buffetaut et Ouaja (2002) notent que la distribution temporelle des Baryonychinae et des Spinosaurinae semble néanmoins supporter l’existence d’un changement de faune entre l’Aptien et l’Albien.
La nature du remplacement des Baryonychinae et des Spinosaurinae en Afrique n’est pas connue. Taquet et Russel (1998) et Buffetaut et Ouaja (2002) font remarquer que la succession des taxas de Spinosauridae soutient une relation d’ancêtre – descendant entre les Baryonychinae et les Spinosaurinae bien que cela ne soit pas démontrable. Les Spinosaurinae apparaissent en effet plus évolué que les Baryonychinae au niveau de plusieurs caractères anatomiques dont la morphologie de leur dent (Buffetaut et Ouaja, 2002). Il n’est donc pas impossible que les Spinosaurinae descendent des Baryonychinae.
L’âge du gisement de Gadoufaoua du Niger, attribués par Taquet (1970, 1976, 1980) et Sereno et al. (1998) à l’Aptien, repose sur une simple comparaison de faune avec la Formation de Santana du Brésil datée sans certitude à cet étage. Lâge du gisement de Santana est fortement débattu et Pons et al. (1990) attribue cette formation à un étage plus jeune que l’Albien supérieur (probablement au Cénomanien). Si cette hypothèse est confirmée, le Baryonychinae Suchomimus tenerensis du site du Niger est présent en Afrique à la même époque que le Spinosaurinae Spinosaurus aegyptiacus et l’hypothèse du remplacement des Baryonychinae par les Spinosaurinae à la limite Albien – Aptien n’est plus vraie. Les deux sous-familles ont alors évolué de manière distincte sur un même continent à la même époque et ont très bien pu se côtoyer.

La relation de parenté entre Baryonychinae et Spinosaurinae à une implication sur l’histoire biogéographique des Spinosauridae. Avant la découverte de Suchomimus, la distribution géographique et les relations de parentés des Spinosauridae démontraient le cas général d’une séparation continental durant la seconde moitié du Mésozoïque et pouvaient s’expliquer par une vicariance à large échelle. Dans cette hypothèse, la séparation entre l’espèce boréale Baryonyx et les Spinosaurinae méridionaux pouvait être attribué à l’ouverture de la mer Téthysienne entre la Laurasie et le Gondwana et la divergence des Spinosaurinae était le résultat d’une ouverture de l’Océan Atlantique entre l’Amérique du Sud et l’Afrique (Sereno et al., 1998).


La découverte du Baryonychinae Suchomimus
(Sereno et al. 1998) en Afrique durant l’Aptien compliqua ce scénario puisque la relation de parenté évidente entre Suchomimus d’Afrique et Baryonyx d’Europe va à l’encontre d’une séparation continental à large échelle. Sereno et al. (1998) ont proposé une autre hypothèse de l’évolution biogéographique des Spinosauridae suite à cette nouvelle découverte. Les Spinosauridae avaient initialement une distribution Pangéenne qui fut dissociée par l’ouverture de la Téthys. Les Baryonychinae évoluèrent vers le Nord (Europe ou Eurasie) et les Spinosaurinae se diversifièrent sur le vaste continent du Gondwana. Afin d’expliquer leur existence au Niger à l’Aptien, ce scénario implique une migration et une dispersion des Baryonychinae d’Europe vers l’Afrique durant le Crétacé inférieur.




Evolution paléogéographique des Spinosauridae durant (A, B) le Barrémien et l’Hautérivien, (C, D) l’Aptien et l’Albien et (E) le Cénomanien. Les flèches bleues représentent la distribution des Baryonychinae, les flèches vertes celle des Spinosaurinae. Le scénario de Sereno et al. (1998) comprend les figure A, C et E. Le premier scénario de Buffetaut et Ouaja (2002) comprend la figure B, D et E, le second scénario comprend les figures A, D et E. (D’après les figures de Sereno, 1999).

Buffetaut et Ouaja (2002) notent qu’aucun reste de Spinosaurinae n’a été trouvé en Afrique et en Amérique du Sud dans des roches plus vieilles que l’Albien et que les plus anciens restes de Spinosauridae d’Afrique (tout comme ceux d’Europe) peuvent être clairement attribués aux Baryonychinae. D’après ces auteurs, et bien que l’absence d’autres fossiles de Spinosauridae doit être utilisé avec précaution, l’absence de Spinosaurinae avant l’Albien suggère un second scénario dans lequel les Spinosaurinae apparaissent bien au Gondwana mais pas avant l’Albien. Ceux-ci dérivent des Baryonychinae primitifs qui, quant à eux, ont pu migrer depuis le Gondwana jusqu’à la Laurasie ou encore qui ont eu originellement une distribution à travers la Pangée (dans ce dernier cas, il n’y a pas besoin de postuler un épisode de dispersion trans-Téthysienne). La lacune entre les Baryonychinae Aptien des continents méridionaux et ceux d’Europe durant l’Hautérivien et le Barrémien supporte la première hypothèse.


V. Les nouvelles découvertes

Du matériel récemment attribué aux Spinosauridae apporte des informations nouvelles sur la paléogéographie des Baryonychinae et des Spinosaurinae. La plus importante d'entre elle est la présence de Spinosauridae en Afrique dès le Jurassique supérieur suite à la réidentification de dents découverte dans les couches du Tendaguru (Kimméridgien-Tithonien) par Buffetaut (2008).
La description de dents de Spinosauridae dans le Barrémien inférieur de la province de Teruel par Sanchez-Hernandez et al. (2007) a aussi un grand impact sur la paléogéographie et l'histoire de cette famille de dinosaures puisque ces auteurs rapprochent celles-ci aux sous-familles des Spinosaurinae et des Baryonychinae. La présence de dents appartenant à ces deux sous-familles dans la même formation (Formation de Camarillas) démontre que des Baryonychinae et des Spinosaurinae se sont côtoyés au Barrémien inférieur dans la même région. L'existence des Baryonychinae dans la péninsule ibérique durant le Crétacé inférieur est connue depuis une dizaine d'années avec la découverte de restes crâniens en Espagne. En effet, des dents furent découvertes dans l'Hautérivien des provinces de Burgos (Torcida Fernãndez et al., 1997) et de La Cantalera (Ruiz-Omeñaca et al., 2005), dans le Barrémien des provinces de La Rioja (Vierra et Torres, 1995) et de Teruel (Ruiz-Omeñaca et al., 1997 ; Torcida Fernãndez et al., 2003, Infante et al., 2005 ; Sanchez et al., 2007) ainsi que dans l'Aptien des provinces de Burgos (Torcida Fernãndez et al., 1997) et de Castellon (Canudo et al., 2004). La distribution des Baryonychinae au Crétacé inférieur en Afrique et dans la péninsule ibérique suggère ainsi que la dispersion de cette sous-famille de dinosaures entre l'Europe et l'Afrique a suivit une route qui passe par l'Espagne et le Portugal actuels (Milner, 2003 ; Buffetaut 2007). La grande ressemblance des différentes formes de Baryonychinae en Afrique et en Europe démontre en effet une dispersion plutôt qu'une évolution vicariante proposée par Canudo (2006) dans l'explication de la distribution de ces théropodes (Buffetaut, 2007).
De manière beaucoup plus intéressante,
la découverte de dent de Spinosauridae dans le Barrémien d'Espagne étend considérablement la répartition temporelle de ces dinosaures puisque rappelons que les plus anciennes évidences connues de Spinosaurinae étaient des restes de Spinosaurus provenant d'Afrique du Nord (et peut-être en Amérique du Sud) datées de l'Albien (Bouaziz et al., 1988 ; Taquet et Russell, 1998 ; Buffetaut & Ouaja, 2002). Les Spinosaurinae semblent donc être déjà présents en Europe au Barrémien inférieur ce qui remet en cause la théorie de Buffetaut et Ouaja (2002) d'une émergence des Spinosaurinae après l'Albien au Gondwana. Si l'on suit la découverte de Sanchez-Hernandez et al. (2007), les Spinosaurinae semblent émerger des Baryonychinae avant le Barrémien et très probablement dans le Sud de l'Europe. De nouvelles découvertes doivent étayer cette théorie et l'émergence et l'évolution paléogéographique des Baryonychinae restent également très obscures.

 
 
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